Communication
avec la station de Concordia
Lundi 07 avril / 18h00 : Vacation radio entre la base Dumont d'Urville et
la station franco-italienne de Concordia
Dehors il fait presque nuit, le vent glacial hurle à
coup de rafales déchirées par les drisses des mâts d'antennes et siffle
en forçant le passage dans les ouvertures de la GP-Radio. A l'intérieur,
règne une ambiance particulière. Nous sommes plusieurs, silencieux, le
regard tourné vers le matériel radio, comme s'il s'agissait d'un chapeau
de magicien d'où sortirait un quelconque lapin. A la baguette magique,
enfin au micro, Florent notre radio, tente d'ajuster la réception. Le
bruit du vent est couvert par les parasites reçus, lorsque tout à coup,
au milieu de cette "soupe", surgissent quelques mots d'une voix
métallique et saccadée : "Dumont d'Urville ici Concordia, comment
me recevez vous ?". Florent, s'empresse de répondre non sans
émotion, partagée par tous, au vue des regards et des sourires que nous
échangeons. Au delà de ces quelques mots banals, nous venons de briser
par la voix, l'isolement commun à nos deux stations. 1200 kilomètres de
glace nous séparent de nos voisins polaires. Le simple fait d'entendre et
de parler à d'autres personnes qui comme nous sont ici en Antarctique,
isolées de tout, c'est un peu se payer le luxe d'un voyage virtuel à
travers les ondes. La voix de Jean-François, le chef de la station
franco-italienne, déformée par la propagation, ajoute un côté
surréaliste et très rétro à l'opération. L'émotion passée, les
questions fusent sur le moral, l'ambiance, la température pour nous et
l'état de la banquise, l'arrivée des Empereurs pour eux. Mais la
technologie radio, qui plus est sous ces latitudes, n'étant pas la
technologie satellite, la qualité de transmission se dégrade rapidement.
Il est temps de prendre congé, non sans se promettre d'autres rendez-vous
hebdomadaires. Thierry, notre chef de district, propose même pour
agrémenter la chose, de partager ainsi une partie d'échec, le tout à
plus de mille kilomètres de distance. Le pari lancé, nous refermons la
porte de notre isolement, et … à lundi Concordia.
Jacques/GP-Télécom.
Ouverture banquise
18 avril : Ouverture officiel de la banquise
Elle s'est fait attendre, plusieurs fois elle nous a
trompés. Déjà à la mi-mars l'espoir naissait à la suite d'une froide
semaine mais tous ses efforts ont été vains à cause des douces
températures de ce début de mois. Les quelques chutes de neige auraient
pu avoir raison de sa motivation, recouverte d'un épais manteau blanc
elle se retrouvait isolée du froid. Et pourtant, centimètre après
centimètre elle s'est formée. Le 17 avril, une petite équipe de trois
personnes décide de l'affronter au niveau du Pré et de l'île Rostand.
Armés d'une foreuse, ils vont la cribler de trous, la sonder sur toute sa
surface, prendre son pouls. Nous sommes alors tous à l'écoute de nos VHF
pour suivre l'évolution de cette expédition. La sentence ne se fait pas
attendre, le 18 Avril la banquise est déclaré ouverte.
Mais elle ne se laisse pas apprivoiser comme ça cette
banquise. Las de tous ces sondages elle tentera d'engloutir discrètement
notre foreur derrière l'île Bernard dès le lendemain. Elle n'aura que
ses jambes, mais la piqûre de rappel est bien vive et nombreux sont les
pièges qu'elle nous tendra au fil de l'hiver. En cette fin de mois, le
périmètre ne cesse plus de s'agrandir, cap Prud'homme est de nouveau
accessible à pied et cela pour la première fois depuis le 25 décembre
dernier.
Bagage des poussins Pétrel
Géant
18 avril : Manip' de bagage de poussins Pétrel Géant sur l'île Rostand
Au petit matin, profitant (enfin !) de l'ouverture de la
banquise, les ornithologues partirent accompagnés d'un petit groupe
(composé de quelques heureux élus tirés au sort le soir précédent)
afin de tenter d'approcher le trop légendaire "Pétrel Géant
Antarctique" (ah bon, vous ne connaissiez pas ?!!). Moment symbolique
que ce premier pas posé sur la glace ouvrant la perspective à
d'interminables "odyssées polaires hivernales" (amen !) à venir
; il faut dire que nous commencions à tourner en rond sur notre petite
île de quelques centaines de mètres carré, et depuis le temps que
nous la voyions autour de nous à portée de pied, ça devenait frustrant
!
Nous inaugurions de par là même et de bien belle façon la
banquise...
Sur le chemin nous croiserons une colonne de manchots
Empereurs devant lesquels nous resterons le temps de quelques minutes
figés, silencieux, à les observer défiler... Décidément
"magiques" ces voyageurs...
Cette manip' (entendez par "manip'" toute
action physique entreprise pour effectuer une tâche concrète ici à DDU
!) a lieu une fois par an et ne pouvait être entreprise auparavant car
elle nécessite de se déplacer sur une île voisine à la nôtre :
"Rostand" ; d'où la tant attendue "Ouverture
banquise" ! Cette île nous est pratiquement interdite toute l'année,
car il y réside un hôte de marque : le fameux "Pétrel
Géant", une espèce protégée d'oiseau en déclin sur l'ensemble du
continent antarctique, qui ne s'absente que de fin mai à mi-juillet ; à
Pointe Géologie il n'en vit plus qu'une quinzaine de couples. La
restriction du nombre de personnes du groupe associée à l'approche
discrète et audacieuse (digne des meilleurs tacticiens et stratèges
de guerre !) entreprise par les "ornithos" sont autant de
facteurs à prendre en compte afin de les perturber le moins possible dans
leur environnement.
En dehors du nombre relativement peu élevé d'individus
de son espèce, sa caractéristique principale est bien entendu sa taille
;
il est grand ; très grand même, puisqu'il rivalise avec certains albatros
au vu de son impressionnante envergure (1,5 à 2 mètres !). Une autre
caractéristique (bien moins valorisante en revanche) est
"parait-il" (car nous n'aurons heureusement pas eu l'occasion de
le constater) sa fâcheuse tendance à régurgiter un flot important et odorant de nourriture en partie dégradée en cas de gros stress.
Arrivés au sommet, le paysage qui s'offre alors à nous
est "de toute beauté": le glacier de l'Astrolabe à gauche, la
manchotière à droite, et entre les deux : des nids, poussins et adultes
en vol. Nous voyons enfin la manchotière de près pour la première
fois... ils sont nombreux... quasiment tous déjà réunis prêts à
affronter l'hiver... et non loin, la cabane qui a servi à l'équipe de
tournage du film "La Marche de l'Empereur".
Les quelques poussins Pétrels restant, nés il y a de
cela plusieurs semaines, sont déjà très gros (c'est impressionnant!) et
ont une démarche dégingandée assez comique il faut le dire ; ils
râleront certes un peu mais la manip' se déroulera vite et bien : les
3 poussins se laisseront attraper et baguer sans difficultés. Un petit
thé dehors pour finir face à l'océan glacé, histoire de fêter
l'événement ; car mine de rien ces Pétrels Géants étaient aussi une
première pour nos ornithologues !
Daniel CRON (2nd Centrale)
Impérial empereur
Les pétrels des neiges, les skuas et les manchots
Adélie sont partis depuis plusieurs semaines vers le Nord, fuyant l'hiver
rigoureux, le blizzard, les tempêtes et la banquise. Ils reviendront
l'été prochain sur l'archipel de Pointe Géologie pour s'y reproduire.
Une seule espèce animale ose affronter les basses températures et les
vents violents de l'hiver austral : l'impérial manchot empereur (en plus
de quelques rares hominidés bien emmitouflés, ou bien au chaud derrière
une fenêtre dès que le vent souffle un peu trop fort).
Les
manchots (famille des Sphéniscidés) sont des cousins des Pétrels et des
Albatros, bien qu'ils ne volent pas. Sur les 17 espèces de manchots (qui
vivent toutes dans l'hémisphère Sud), seules 2 se reproduisent sur les
côtes antarctiques (hors péninsule) : le manchot Adélie (l'été) et le
manchot empereur (l'hiver). Parlons des manchots empereurs justement… La
population totale était estimée à 220 000 couples dans les années 90,
répartis dans une cinquantaine de colonies. À Dumont d'Urville, on
recense actuellement près de 3000 couples.
Quelques données sur les empereurs : Ces grands oiseaux
(ils mesurent un mètre) se reproduisent tous les ans en pondant un unique
oeuf au mois de mai, après une période de pariade et d'accouplement
durant le mois d'avril. C'est le mâle qui assure la totalité de
l'incubation de l'oeuf (65 jours) pendant que la femelle part en mer se
nourrir jusqu'au mois de juillet. Le poussin est thermiquement
indépendant de ses parents à partir du mois d'août. Il est nourri par
ses deux parents jusqu'au mois de décembre, date à laquelle il partira
en mer pour ne revenir sur la colonie que quelques années plus tard (les
empereurs sont mâtures à l'âge de 5 ans, et les premiers retours sur la
colonie se font dès l'âge de 4 ans). Les empereurs peuvent vivre
jusqu'à une trentaine d'années. Ils plongent pour pêcher du krill et
des petits céphalopodes jusqu'à 50 mètres de profondeur en moyenne,
pendant 15 à 20 minutes (record enregistré à plus de 500 mètres).
Les mâles et les femelles ont un chant différent (le
chant de la femelle est plus saccadé), ils sont aussi distinguables au
début de la saison de reproduction par leur poids, les mâles pesant 40
à 45kg alors que les femelles n'en font que 30 en moyenne.
Ces oiseaux de l'extrême sont parfaitement adaptés au
milieu dans lequel ils vivent. Leur plumage en "double couche",
avec une coque externe pour l'isolation mécanique et du duvet pour
l'isolation thermique, leur permet de minimiser leur consommation
d'énergie : ils ont un métabolisme minimal à une température de -10°C
(25°C pour un homme nu). Le comportement de "thermorégulation
sociale" mieux connu sous le nom de "tortue" (les manchots
se serrent les uns aux autres) est également source d'économies
d'énergie quand les températures sont basses et les vents forts. Une
tortue dure en moyenne 1h30 à 2 heures, elle se disloque alors que les
températures en son cœur peuvent atteindre 37°C.
La colonie de manchots empereurs de Dumont d'Urville
fait partie d'une Aire Spécialement Protégée de l'Antarctique (ASPA
n°120). L'accès à la colonie et l'approche des manchots sont restreints
à des travaux scientifiques soumis à autorisation. Mais les empereurs
sont curieux, il est fréquent de voir des petits groupes s'approcher à
quelques mètres de nous, nous invitant à les observer d'un peu plus
près. Qui a dit que la curiosité était un vilain défaut ?
Anne-Mathilde THIERRY (biologiste - programme 137/Ecophy)
/ Charline GUERIN (programme chimie de l'atmosphère)
Formation G.I.E
26 avril : Formation pour les volontaires du Groupe d'Intervention
Extérieur
Faisant suite au premier volet de la formation aux
premiers secours, destinée à tous les hivernants, une formation
spécifique a été mise en place pour l'équipe du G.I.E (Groupe
d'Intervention Extérieur). La première partie de ce module était
orientée vers les techniques de relevage et de brancardage. Les
secouristes ont ainsi pu se familiariser avec le matériel disponible sur
la base (pulka, bannette, matériel d'immobilisation, …). Le second
volet, était destiné à initier le groupe à l'utilisation du matériel
de progression (crampons, piolets) et aux manipulations de cordes. Ce
deuxième volet s'est déroulé non loin de la base, sur ''le petit
Cervin''. Il semblerait que cette partie du cursus a éveillé chez
quelques uns, une passion latente pour les univers glacés. Désormais, le
groupe d'intervention dispose des bases nécessaires pour porter secours
dans de bonnes conditions en cas d'accidents sur et en dehors de la base.
Thierry MORAZZANI (responsable centrale)