Dumont
d'Urville, le 31 mai 2010,
A
DDU au fil du temps,
En Antarctique,
comme ailleurs, le temps passe ; rythme non effréné de la vie
occidentale, mais rythme soutenu qui ne laisse pas de place à l'ennui. Je
n'ai pas vu filer ces six derniers mois à DDU.
La campagne d'été a occupé tout le monde, impression d'une ruche
bourdonnante, Puis le calme de l'hivernage ponctué par le départ des
Adélie, par l'arrivée des Empereurs, puis par celle des œufs, puis la
Mid-Winter à préparer, puis… la vie simplement.
Par certains
côtés, je la trouve décalée cette vie dans les glaces et le froid
immaculé. L'homme survit par l'artifice du confort matériel importé,
rien de bien naturel donc, que cette présence humaine, au nom de la
science, aujourd'hui et pour quelle autre cause demain ??
Peu de paradoxe, comparé aux multiples télescopages vécus l'année de
Kerguelen. Non, ici tout est simple, blanc/noir, froid/chaud, vie/mort. Le
cycle des animaux dévoile cette alternance avec tant de naturel ! Alors,
pour les hivernants, c'est la vie.
Quelques uns de
mes amis me disent que ce séjour en Antarctique n'est pas la vraie
vie.
Si je fais abstraction du côté matériel, j'ai le sentiment que la vraie
vie est ici, celle où toute l'attention est tournée vers l'autre.
Je suis enfermée et isolée ici avec un groupe de personnes que je n'ai
pas choisies qui ne m'a pas choisie non plus. Il faut donc faire marcher
tous les moteurs du comportement social. L'écoute, le partage,
l'humilité, le pardon semblent des sciences appliquées à chaque
instant. Nous en prenons tous le temps pensant que c'est l'essentiel. «
On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les
yeux.. » (St Ex). Oui, dans cette petit marmite sociale, aller à
l'essentiel dans le respect de l'autre, prendre le temps de se découvrir,
de se comprendre, de partager en préservant une intimité nécessaire,
d'équilibrer les aspirations, d'éviter les clans, de garder la distance
tout en s'impliquant avec justesse... voilà le nécessaire chemin de vie
au quotidien, exaltant et épuisant…mais combien enrichissant. Personne
n'est parfait, mais tous font un effort, là où un mot ou une attitude
pourraient faire déraper l'entente et l'ambiance détendue qui règnent
depuis le début de la mission. Les rares petites anicroches sont aplanies
par une explication rapide, simple et très claire.
Le lâcher prise, prendre le temps, savoir dissocier l'essentiel du
futile, partager en confiance, « ne pas subir » (De Lattre de Tassigny),
exception faite de la nature, qui de toute façon sera toujours plus forte
que nous. Au delà de la recherche de saines relations et de la
compréhension, l'isolement, la solitude choisie ne permettent-elles pas
un temps d'introspection personnelle ? La fulgurance de la beauté des
lumières de la pureté du monde qui m'entoure ne nous laissent-elles pas
le loisir de la distanciation par rapport à notre vie d'ailleurs, en
Occident, là où le soleil disparaît, là où s'ébauche le crépuscule
d'une civilisation.
Qu'impose notre
société de plus en plus malade de vitesse, des mots creux et vidés de
leur sens, lâchés par des médias qui portent à bout de bras des modes
de vie, comme les manières de penser, les mêmes pour tous si possible.
Sans prendre le temps de la réflexion à chaque problème vrai ou
supposé, on rédige des lois qui à force se contredisent, au lieu de
laisser parler le bon sens humain.
On cloisonne dans des clichés tristes et stéréotypés, en laissant aux
hommes le nécessaire utile qu'il leurs faut pour vivre sans bruit et
supposés heureux, dans l'angoisse perpétuelle d'un jugement pire d'une
sanction...
Mais jusqu'où ira cette course en avant effrénée ?
L'explosion d'associations en tous genres, de livres sur la recherche du
bonheur, sur l'éloge de la lenteur, ne sont-ils pas des signes
révélateurs d'une longue et très difficile prise de conscience ?
Je sais parfaitement que l'évolution de la société vers plus de bien
matériel a permis à des milliers de gens de mieux être éduqués, de
mieux se nourrir, de mieux être soignés. Mais aujourd'hui, dans nos pays
dits développés, il va falloir savoir passer à autre chose de plus
juste, de plus équilibré, de plus libre.
Cette
parenthèse en Antarctique ne représente ni un point de départ vers une
vie nouvelle, ni un point d'aboutissement après une vie bien remplie.
Elle s'inscrit dans un cheminement personnel de construction perpétuelle
; tout simplement être et rechercher le sens égaré de nos véritables
valeurs humaines.
Marie-France Roy
(Chef de District de TA60)