Archives 60ème mission à DDU et 6ème mission à Concordia

Information sur la 60ème mission à DDU
La campagne d'été 2009-2010
Information sur la 6ème mission à Concordia
Février 2010
Mars 2010
Mai 2010
Juin 2010
Août 2010

Pour retourner à la page "Nouvelles des bases antarctiques", fermer cette fenêtre.

Le mot des hivernants à DDU mai 2010

 

Dumont d'Urville, le 31 mai 2010,

A DDU au fil du temps,

En Antarctique, comme ailleurs, le temps passe ; rythme non effréné de la vie occidentale, mais rythme soutenu qui ne laisse pas de place à l'ennui. Je n'ai pas vu filer ces six derniers mois à DDU. 
La campagne d'été a occupé tout le monde, impression d'une ruche bourdonnante, Puis le calme de l'hivernage ponctué par le départ des Adélie, par l'arrivée des Empereurs, puis par celle des œufs, puis la Mid-Winter à préparer, puis… la vie simplement.

Par certains côtés, je la trouve décalée cette vie dans les glaces et le froid immaculé. L'homme survit par l'artifice du confort matériel importé, rien de bien naturel donc, que cette présence humaine, au nom de la science, aujourd'hui et pour quelle autre cause demain ??
Peu de paradoxe, comparé aux multiples télescopages vécus l'année de Kerguelen. Non, ici tout est simple, blanc/noir, froid/chaud, vie/mort. Le cycle des animaux dévoile cette alternance avec tant de naturel ! Alors, pour les hivernants, c'est la vie.

Quelques uns de mes amis me disent que ce séjour en Antarctique n'est pas la vraie vie. 
Si je fais abstraction du côté matériel, j'ai le sentiment que la vraie vie est ici, celle où toute l'attention est tournée vers l'autre. 
Je suis enfermée et isolée ici avec un groupe de personnes que je n'ai pas choisies qui ne m'a pas choisie non plus. Il faut donc faire marcher tous les moteurs du comportement social. L'écoute, le partage, l'humilité, le pardon semblent des sciences appliquées à chaque instant. Nous en prenons tous le temps pensant que c'est l'essentiel. « On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux.. » (St Ex). Oui, dans cette petit marmite sociale, aller à l'essentiel dans le respect de l'autre, prendre le temps de se découvrir, de se comprendre, de partager en préservant une intimité nécessaire, d'équilibrer les aspirations, d'éviter les clans, de garder la distance tout en s'impliquant avec justesse... voilà le nécessaire chemin de vie au quotidien, exaltant et épuisant…mais combien enrichissant. Personne n'est parfait, mais tous font un effort, là où un mot ou une attitude pourraient faire déraper l'entente et l'ambiance détendue qui règnent depuis le début de la mission. Les rares petites anicroches sont aplanies par une explication rapide, simple et très claire.
Le lâcher prise, prendre le temps, savoir dissocier l'essentiel du futile, partager en confiance, « ne pas subir » (De Lattre de Tassigny), exception faite de la nature, qui de toute façon sera toujours plus forte que nous. Au delà de la recherche de saines relations et de la compréhension, l'isolement, la solitude choisie ne permettent-elles pas un temps d'introspection personnelle ? La fulgurance de la beauté des lumières de la pureté du monde qui m'entoure ne nous laissent-elles pas le loisir de la distanciation par rapport à notre vie d'ailleurs, en Occident, là où le soleil disparaît, là où s'ébauche le crépuscule d'une civilisation.

Qu'impose notre société de plus en plus malade de vitesse, des mots creux et vidés de leur sens, lâchés par des médias qui portent à bout de bras des modes de vie, comme les manières de penser, les mêmes pour tous si possible. Sans prendre le temps de la réflexion à chaque problème vrai ou supposé, on rédige des lois qui à force se contredisent, au lieu de laisser parler le bon sens humain. 
On cloisonne dans des clichés tristes et stéréotypés, en laissant aux hommes le nécessaire utile qu'il leurs faut pour vivre sans bruit et supposés heureux, dans l'angoisse perpétuelle d'un jugement pire d'une sanction... 
Mais jusqu'où ira cette course en avant effrénée ? 
L'explosion d'associations en tous genres, de livres sur la recherche du bonheur, sur l'éloge de la lenteur, ne sont-ils pas des signes révélateurs d'une longue et très difficile prise de conscience ? 
Je sais parfaitement que l'évolution de la société vers plus de bien matériel a permis à des milliers de gens de mieux être éduqués, de mieux se nourrir, de mieux être soignés. Mais aujourd'hui, dans nos pays dits développés, il va falloir savoir passer à autre chose de plus juste, de plus équilibré, de plus libre.

Cette parenthèse en Antarctique ne représente ni un point de départ vers une vie nouvelle, ni un point d'aboutissement après une vie bien remplie. Elle s'inscrit dans un cheminement personnel de construction perpétuelle ; tout simplement être et rechercher le sens égaré de nos véritables valeurs humaines.

Marie-France Roy (Chef de District de TA60)

 

Retour au menu

Association Amicale des Expéditions Polaires Françaises  -  34, boulevard de Sébastopol - 75004 PARIS
Directeur de la publication : Claude Bachelard   -  Webmaster : Bernard Sinardet