TAÏGA-TOUNDRA, au nord, la démesure
TAÏGA-TOUNDRA, au nord, la démesure
Prix : 18,30€
Description
Chaque ouvrage de la collection Monde/Nature extrême est pluridisciplinaire, consacré à un thème unique et réunit trois contributions de chercheurs des sciences de la nature, de l’homme et de la société.
Malgré son titre, celui que nous présentons n’est donc pas une somme de ce que l’on connaît sur les taïga et toundra. Contrairement à ce qui est annoncé dans la présentation de la collection, les trois volets sont d’importance très inégale, respectivement 48, 38 et 23 pages. Si l’éditorial et le « chapeau » de chaque article sont d’intérêt réduit il n’en est heureusement pas de même pour les textes qu’ils prétendent introduire.
Attardons-nous sur Les milieux naturels et leur évolution. Les auteurs se livrent d’abord à un certain nombre de rappels. Les étages de végétation qui se succèdent en fonction de l’altitude ont leurs équivalents dans les terres nordiques où l’on observe un changement analogue avec la latitude mais selon une échelle des distances très différente: s’il faut en moyenne s’élever de 1 000m pour que la température de l’air baisse de 5°C, il faut remonter environ de 1 000km en latitude pour obtenir un changement analogue. Si taïga et toundra ont en commun de se développer sur du permagel, les deux sont soumises à un climat spécifique. Celui de la forêt boréale est très contrasté entre l’été et l’hiver, il est de deux à quatre fois plus humide que celui de la toundra. Des feux d’origine naturelle l’agressent régulièrement; les pins sont plus résistants au feu, mais les feuillus repoussent les premiers après l’incendie. La forêt du grand nord est très polymorphe en fonction de l’exposition, des aléas de l’histoire et des espèces présentes, lesquelles ont beaucoup évolué depuis la séparation de l’Amérique du Nord et de l’Eurasie : ainsi les grandes forêts de mélèzes de Sibérie orientale n’ont pas d’équivalent ailleurs. Quant à la toundra, elle est humide en été malgré un climat sec, l’eau ne pouvant s’infiltrer dans la couche imperméable du permagel. Ce dernier en façonne le paysage : lentilles de glace génératrices de reliefs allant de la simple butte de terre à de véritables collines (pingos), solifluxion, gélifraction et coetera.
Plus originale, la seconde partie apporte un plus à ce qui est ordinairement publié sur le sujet : les auteurs abordent le problème du devenir des biomes taïga et toundra face à l’effet de serre, responsable probable d’un réchauffement du climat. Malgré leur immensité (13 % des terres émergées) les terres arctiques ont longtemps été considérées comme ayant une très faible interaction avec le reste de la biosphère. Elles renferment pourtant environ le quart des réserves mondiales de carbone organique souterrain, matière organique morte qui se décompose sous l’action de bactéries, productrices de dioxyde de carbone et de méthane. En raison des basses températures moyennes le processus est lent; la tendance actuelle semble être à l’accumulation.
En cas de changement climatique ces espaces arctiques vont-ils contribuer à stocker le carbone rejeté dans l’atmosphère ou, au contraire, participer à l’accumulation des gaz à effet de serre? Dans ce but a été lancé le programme BOREAS (Boreal Ecosystem Atmosphere Study), piloté par la NASA et plusieurs agences canadiennes et américaines: 85 équipes dont 6 européennes. Les premiers résultats obtenus bousculent parfois ce que l’on tenait pour acquis. Ainsi la taïga hivernale ne se comporte pas comme la toundra : elle absorbe davantage de rayonnement solaire ce qui modifie les prévisions données par les modèles, annonçant un réchauffement supplémentaire en réponse à une augmentation des gaz à effet de serre. Plusieurs conséquences en découlent : le réchauffement entraînera un déplacement des isothermes vers le nord; la taïga devrait ainsi migrer vers le nord. L’évapotranspiration de la taïga (somme de l’évaporation des surfaces humides et de la transpiration des végétaux) est faible, de ce fait, comme dans les zones arides, la majorité du rayonnement net est dissipé en chaleur. Bien que la forêt boréale accumule un peu de carbone il ne semble pas qu’elle puisse être considérée comme un puits potentiel pour le carbone rejeté par les activités humaines; pour qu’elle le soit il faudrait que les quantités de carbone accumulées par les peuplements non brûlés soient supérieures à celles rejetées par les peuplements brûlés en moyenne une fois par siècle.
La toundra se comporterait-elle de façon identique? L’activité bactérienne et microbienne, à l’origine de la décomposition de la matière organique morte, se limite à la couche supérieure du sol qui dégèle en été. Températures très basses et teneur élevée en eau des sols sont défavorables à cette activité. Malgré une photosynthèse réduite la toundra a progressivement accumulé 13% des réserves totales de carbone souterrain, correspondant à 27% de la quantité de carbone atmosphérique. On pourrait craindre que la toundra ne se transforme en source supplémentaire de dioxyde de carbone en cas de réchauffement. Cela ne serait pas le cas. La réaction de la toundra suivrait deux étapes; une, à court terme, se traduirait par une augmentation des émissions de gaz carbonique mais serait suivie d’une réponse à long terme où la fixation augmenterait.
Nous ne nous étendrons pas sur les deux autres contributions, Les indiens de la baie James et Des esprits et des hommes, relative aux communautés de l’arctique sibérien. Bien qu’intéressantes elles ne semblent guère apporter de données nouvelles. Ces textes à plusieurs voix sont bien écrits, sobrement illustrés. Malgré la qualité des auteurs, chercheurs confirmés, quelques erreurs et contradictions sont à signaler. La taïga n’est pas limitée au nord par le cercle polaire (p.21) mais plutôt par l’isotherme +10°C de juillet ce que confirme le texte trois pages plus loin. La photo du bas de la page 25 est légendée : vue rapprochée d’un sol de taïga: tapis de lichens cladonia et d’airelles ; elle pourrait l’être tout autant d’un sol de toundra, cela d’autant plus qu’un examen attentif révèle la présence des petites feuilles arrondies et dentelées du bouleau nain. Le texte de la page 25 confirme cette idée. Les lapins pris au collet par les indiens Cris sont des lièvres (genre Lepus) puisque les lapins américains (genre Sylvilagus) sont absents de l’Arctique (p.63). La note N°11 de la page 64 mentionne qu’ au mois d’août les bois des caribous mâles ont atteint une bonne taille et SE RECOUVRENT d’un velours qui se détache au mois de septembre. Il aurait fallu écrire sont encore recouverts d’un velours puisque cette peau veloutée, richement vascularisée, revêt les nouveaux bois dès qu’ils commencent à se développer sur les pivots de l’os crânien, en mars dans le cas présent. Dernier reproche, qualifiée de générale la bibliographie est bien faible : 27 titres regroupés en 4 rubriques: ethnologie, écologie et géographie, vulgarisation sur les milieux arctiques et boréaux, littérature. Le nombre de titres proposés (respectivement 17, 4, 4 et 2) est disproportionné, sans rapport avec les trois thèmes évoqués dans l’ouvrage, leur choix semble hasardeux. Ces quelques réserves ne doivent pas pour autant vous détourner d’une acquisition et lecture intéressantes.
INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
Ouvrage collectif, sous la direction de Sophie Bobbé.
Janvier 1999, Editions Autrement, collection Monde/Nature extrême, HS N°111. Broché, 17×24,8 cm, 13 photos N&B, 12 cartes et schémas, bibliographie, 122 pages
ISBN 2-86260-870-X.