LES ÎLES KERGUELEN suivi de BASTRINGUE

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Description

Le Roland  naviguait sur les flots sombres qui roulent lourdement entre les 40^e rugissants et les 50^e hurlants. « Terra incognita », devenue l’Australasie, obsédait l’esprit de plus en plus embrumé de son découvreur, le chevalier Yves de Kerguelen… Des lendemains prospères, il en avait rêvés porté par l’enthousiasme du roi Louis XV et celui de la Cour. Ainsi était né le projet de ce second voyage optimiste et arrogant. Mais cet officier de la Marine Royale, commandant de navire égaré dans la galerie des découvreurs de terre, n’avait pas la qualité de ses illustres prédécesseurs ou contemporains navigateurs.

Dans cette expédition, tout était médiocre : son bateau le Roland  mal construit, l’équipage mal conduit avec en plus la présence trouble de Louison déguisée en mousse, les vivres avariés, une mer exécrable, une terre inabordable qui s’avéra être une île et non le continent espéré ; le seul allié réel du navigateur, Le Boisguehenneuc, commandant le Gros Ventre  second bateau de l’expédition, était perdu de vue… Seul restait à Versailles l’appui du roi, monarque déliquescent, mentalement dégradé, réfugié dans son rêve d’un continent inconnu qui pourrait sauver l’image de son règne.

L’auteur, Alexis Ragougneau, a choisi cette période où la réalité a détruit les derniers rêves du chevalier, ces jours terribles où son incapacité à dominer l’adversité le conduit au naufrage de ses illusions. Là-bas, dans son château, bien loin de l’océan qui roule sous la coque et des vents qui hurlent dans la mâture, le roi malade meurt lentement de la variole. La description de l’agonie concomitante de l’expédition est dramatique : l’équipage est au bord de la révolte, le navire est mangé par les tarets, les réserves alimentaires sont désormais inconsommables tandis que Louison excite la fureur et l’envie des hommes du bord libérant les fantasmes normalement bridés par l’autorité de la hiérarchie et les règles de la société.

Entreprise trois ans plus tôt comme une manifestation orgueilleuse et ambitieuse de l’autorité royale, la découverte des îles Kerguelen est devenue une tragédie et l’auteur a bien saisi les dimensions humaines de cet échec. Le spectateur, qui fut un visiteur de l’archipel, retrouve l’âpreté occasionnelle de l’environnement ; il ne peut s’empêcher de penser à tous ceux qui, marins ou scientifiques, un peu plus tard ont visité ces sites et ont réussi à survivre malgré l’hostilité du milieu.

Le texte, la mise en scène, le jeu outré des acteurs suggèrent une image fantasmée de l’échec du découvreur, image qui n’est pas très éloignée de la froide réalité historique malgré une ou deux inexactitudes. De par la volonté de Cook, l’archipel y gagna le nom d’« îles Kerguelen », mais aussi le surnom tenace d’« îles de la Désolation ». Cette aventure sans gloire a généré une œuvre pathétique que le spectateur suit avec une attention aiguë.

René Lésel

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

A. Ragougneau – Éd. de l’Amandier 

Théâtre – septembre 2009 – broché, couverture illustrée – 15 x 21,5 cm – 224 pages 

ISBN : 978-2-35516-087-5.