PIRATES DE LÉGINES (OCEAN INDIEN AUSTRAL)
PIRATES DE LÉGINES (OCEAN INDIEN AUSTRAL)
Prix : 18,00€
Description
Cet “essai documentaire”, présenté de manière romancée, offre toutes les qualités des romans déjà publiés par son auteur. On y retrouve le grand souci d’une documentation très précise et l’auteur cite toutes ses sources en début d’ouvrage (livres, presse, sites Internet).
Il utilise aussi les données du capitaine Marcel Barbarin qui navigua pendant vingt-deux ans (1967 à 1998) dans les mers australes à bord des navires de pêche de la Sapmer. Le capitaine Barbarin connaît mieux que quiconque les problèmes liés à la pêche illégale dans ces régions lointaines pour avoir commandé longtemps le Cap Horn et les Austral 1 et 2. Pour le lecteur non familier de la pêche et des poissons, surtout ceux des mers australes, le titre est un peu austère, bien que de très nombreux articles de journaux, tant à La Réunion qu’en métropole, aient fait allusion à la piraterie organisée autour des îles Kerguelen et Crozet. Qu’est-ce qu’une légine ? Contrairement à ce que pense et écrit l’auteur, il ne s’agit pas d’un poisson de la famille des morues (Gadidae), mais d’un poisson de la famille largement répandue dans les régions antarctiques et subantarctiques, les Nototheniidae, nom barbare, j’en conviens. Le nom commun français de la légine est “légine australe” et non colin antarctique (p. 8). Ce dernier nom n’existe d’ailleurs pas, seuls le “colin de Kerguelen” et le “colin austral” sont des Nototheniidae proches des légines, mais s’appliquent à deux autres espèces (respectivement Notothenia rossii et Notothenia squamifrons). Il faut savoir aussi que la légine australe (tout comme sa cousine, la légine antarctique qui vit plus au sud) se pêche au moyen de palangres, les navires étant des palangriers. Les palangres sont de très longues lignes sur lesquelles des hameçons sont fixés par des avançons à intervalles réguliers. La ligne principale peut atteindre plusieurs kilomètres et porter ainsi plusieurs milliers d’hameçons. La pêche de la légine se fait par grande profondeur, au-delà de 500 mètres et jusqu’à 1500 ou 2000 mètres. L’un des problèmes de cette technique de pêche est qu’elle peut être meurtrière pour de très nombreux oiseaux de mer qui engloutissent les appâts au moment de la mise à l’eau et se font ainsi noyer. Une réglementation précise comment immerger les palangres afin d’éviter toute mortalité d’oiseaux. Les palangriers pirates se soucient peu des réglementations.
L’essai documentaire de Jacques Nougier présente un intérêt remarquable : c’est en effet la première fois qu’un livre est écrit sur la piraterie vue du point de vue…du pirate ! Le remarquable livre de Marcel Barbarin, “Pêche et piraterie dans les quarantièmes rugissants” décrit parfaitement ces actes préjudiciables à la pêche, aux pêcheurs patentés, aux armateurs en règle et…au poisson. Mais personne jusqu’à présent n’avait tenté d’étudier le point de vue des pirates. Jacques Nougier a parfaitement su décrire l’imbroglio qui réunit les commanditaires (généralement espagnols), aux capitaines de pêche (souvent chiliens) et leurs équipages composés de marins plus ou moins bien formés, de toutes nationalités, sans aucune protection sociale légale. Les commanditaires agissent sous couvert de sociétés opaques dont les sièges sociaux (ou les boites à lettres) sont situés dans des paradis fiscaux avec pavillons de complaisance. Les capitaines de pêche, tout comme Pablo, le héros de cet essai, sont souvent liés aux commanditaires qui les tiennent pour avoir payé leurs dettes.
Notons cependant quelques petites inexactitudes ou critiques. Notre héros (celui du livre, Pablo), inexpérimenté à ce moment du récit (p. 36) ne pouvait pas mener un navire de pêche de haute mer jusqu’à Punta Arenas par ses propres moyens, lorsque l’on sait que tout navire est pris en charge par un pilote chilien à l’entrée du Détroit de Magellan. Le colin de Kerguelen (p. 50) (Notothenia rossii, note 12) est aussi appelé “bocasse marbrée”, le terme “bocassa” n’est pas du tout officiel et n’est utilisé que par les pêcheurs. Autre inexactitude (p. 182) : Jean-Claude Hureau n’a jamais été directeur du laboratoire d’ichtyologie du Muséum national d’histoire naturelle et Guy Duhamel est lui aussi professeur du Muséum comme son collègue J.-C. Hureau. Nous pouvons aussi regretter la déplorable qualité de la carte (p. 193) et des photographies des navires (p. 194-195) qui auraient pu être des documents très valables s’ils avaient été reproduits sur un bon papier couché.
Ces remarques sont cependant négligeables à côté des magnifiques pages bien documentées : “Nos armateurs portent de lourdes responsabilités et leurs profits leur semblent toujours insuffisants…(p. 141)”. Pablo considère à tort que les eaux des îles Kerguelen et Crozet obéissent aux mêmes règles que les eaux de la Communauté européenne ; il oublie (ou bien est-ce l’auteur par la bouche de Pablo ?) que Kerguelen et Crozet sont des Territoires d’outre-mer et non des Départements d’outre-mer. En effet, si tel n’était pas le cas, son exclamation “Pourquoi sur nos mers, n’aurions-nous pas les mêmes droits que nos voisins…[français sous-entendu.] (p. 179)” serait parfaitement justifiée. L’ensemble du chapitre 15 “Quel avenir pour les légines ?” décrit bien la situation dramatique de l’exercice illégal de la pêche, non seulement dans l’océan Austral, mais dans le monde en général. Parmi les documents joints en fin de volume, la liste des navires (Marine nationale française, navires de pêche français autorisés, navires pirates, autres navires) ayant fréquenté les eaux des îles Kerguelen et Crozet est très utile au lecteur. De même la liste des pavillons de complaisance est instructive et le lecteur peut en déduire les disfonctionnements des réglementations maritimes internationales.
Nous recommandons très vivement la lecture de cet essai documentaire qui éclaire, sous un jour nouveau et très original et dans un style agréable à lire, le problème de la piraterie, au-delà de celle de la légine.
Jean-Claude Hureau.
INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
Jacques Nougier.
Mai 2003, L’Harmattan (Paris).
Broché, couverture illustrée d’une légine et d’une ancre de marine, 13,5 x 21,5 cm, 9 photos noir et blanc, 1 carte, 202 pages,
ISBN : 2-7475-4459-1.