Comment je suis entré aux Expéditions Polaires Françaises Missions Paul-Emile Victor
(Par Georges Gadioux)
La plupart des membres des Expéditions Polaires ont été recrutés par l’intermédiaire d’annonces dans la presse, au travers de notes de services dans certains organismes ou par l’information d’une relation.
Je ne vais pas vous infliger une biographie supplémentaire dans le pure style « people », non, simplement et à la demande de notre regretté Bernard Morlet avant son départ, il avait trouvé ça sympa et m’avait demandé de le mettre par écrit.
En découvrant les photos prises par Christiane Gillet de la démolition du 47, insérées sur le site par notre dévoué « Webmaster » je fis remarquer à Bernard que ma « Garçonnière » subsistait.
« Ta garçonnière, de quoi parles-tu ? » me demanda-t-il.
Et oui, ma garçonnière du 22 Avenue Chantemesse subsiste toujours, elle a survécu aux assauts des pics, des pointes, des griffes, des excavatrices. Tous ces engins « Chenille » (Caterpillar outre atlantique) ont effacé d’un revers de pelle plus d’un demi siècle d’histoire.
Je parle de cette alvéole qui trône donc toujours, à droite, dans la rampe d’accès aux sous-sols des E P F. (voir photo de C Gillet ci-dessous)
C’est grâce à cette alvéole, transformée en chambre que j’ai rencontré les E P F.
Alors je lui ai raconté :
Tout commence en octobre 1964. Je viens d’être démobilisé de l’armée après un séjour en Algérie. Je quitte ma Charente natale pour « monter » à Paris.
J’ai trouvé une place de « Préparateur Vendeur » en voitures d’occasion sans savoir exactement de quoi il s’agit. Embauché immédiatement car le « boss » est d’origine Charentaise. Et pourquoi seuls les Auvergnats et les Bretons bénéficieraient-ils d’un favoritisme protecteur ? Je vais vite faire le tour du sujet.
Le travail consiste avec le moins de moyens possibles, à redonner à des véhicules d’occasion, l’aspect de belles voitures qu’elles connurent dans un passé plus ou moins éloigné !!
Idem la devise de la Royale « Peinture sur M…. = Propreté »
Mon « Boss » m’accueille Avenue de Versailles. Le magasin peut contenir 4 voitures. Des chiffons, des produits, achetés avec parcimonie et avec très peu de moyens financiers. Une caisse à outils constituée de clefs de récupération que les constructeurs offraient avec les véhicules neufs à l’époque. Plus rustique connais pas, l’outillage dans les solderies est du super luxe à côté.
Il disperse son cheptel un peu partout dans les rues adjacentes, même dans la rue de la Faisainderie dans laquelle il possède un petit appartement de plus 200 m². Et puis au 22 avenue de Chantemesse dans ce garage souterrain. Il est locataire d’une place et sans aucune gêne squatte les « trous » laissés vacants provisoirement par les autres locataires.
Je viens donc régulièrement jouer le « Coucou » sous l’œil plus méfiant que souriant de « Gégène » l’incomparable héros de la guerre 39/45, le champion toutes catégories de la remise en état d’engins, héros eux aussi de la dernière guerre et grâce auxquels les membres E P F ont effectué et réussi tant de missions Arctiques et Antarctiques. Résistants comme des dromadaires, mais beaucoup moins sobres, ils ont résisté aux froids, aux tempêtes, aux crevasses sauf pour certains à une immersion définitive dans les eaux glacées des mers polaires. Amphibies, oui mais il y a des limites.
Un harki fait office de gardien. Un Monsieur qui répond au nom de A………employé à la ville de Paris et censé gérer le patrimoine. Comment ? Une Trentaine de véhicules sont garés par les nantis du Boulevard Lannes et des alentours. Le coût de la location varie de 200 à 500 FF par mois. Un responsable passe régulièrement contrôler, c’est monsieur A…… et il entretient d’excellentes relations avec mon » boss « . Et ferme les yeux sur les véhicules squatteurs et sur ma présence.
Les jours passent. Je fais connaissance de quelques locataires dont certains me regardent d’un air réprobateur. Gégène me prête des outils par pitié. Désavoué par Monsieur Guillard (que certain appellent familièrement Tonton) il me regarde d’un mauvais œil. Un jour, Tonton, en passant près de moi alors que je travaillais (oui Tonton, je travaillais) me dit » ce n’est pas en travaillant ainsi que vous partirez avec nous « . J’avais trouvé cette remarque bizarre puisque loin de moi l’idée d’aller à l’autre bout de la planète me geler les doigts et le reste pour serrer des écrous. Moi mon rêve, la savane Africaine. Ou alors était-ce un défi, allez savoir. Lui comme moi ignorions à cette époque que nous allions nous retrouver ensemble au pays des Tupideks et qui plus est partager une amitié indéfectibles.
Je découvre les E P F, je vois Monsieur Victor qui ne m’est pas inconnu. J’ai lu grâce au bibliobus qui passait dans ma » brousse » Apoutsiak, mais qui, à l’époque à mes yeux, vit dans un autre monde. Gégène me montre du doigt ou me présente des « Hommes » qui partent ou qui reviennent de Terre Adélie. Parmi eux Mario Marret celui-ci il le vénérait. Et puis Lucien Faivre dit » Lulu le Bélifontain » qui nous raconte des histoires polaires. Les raids au Groenland, la station Charcot, les tempêtes, les températures plus que négatives. J’apprends que même le mercure gèle. Ils sont malades ces types.
Et puis le pauvre gardien tombe malade, nous ne le reverrons plus.
Monsieur Arnaud arrive un jour et m’offre d’occuper ce poste de gardien en plus de mon travail.
Conditions : logé, eau, électricité et 250 FF par mois (en liquide comme les loyers) (*). Cette chambre de 15 m² avait un coin de 1,5 m² avec réchaud à gaz (la bouteille à l’intérieur !!) un lavabo en guise de salle de bain. Un lit, un buffet de style Louis caisse XVIIIe (arrondissement) deux chaises du même style. Un radiateur électrique à bain d’huile qui chauffait 24/24 et 365 jours par an. Vu qu’au mois d’août la température arrivait tout juste à 18° et que l’humidité ambiante obligeait cette démarche. L’hiver le thermomètre est descendu une fois à 5° et les tuyaux d’alimentation en eau, qui courraient à l’extérieur, étaient gelés. Je faisais ma toilette au garage à Neuilly. Impossible de mettre un radiateur plus puissant car le câble d’alimentation (pas de fusible) brûlait régulièrement au niveau du semblant de boite de dérivation. Heureusement les installateurs avaient vu grand ce qui me permettait (sous tension) de couper le cuivre recuit et de refixer le 2,5 mm² sur la plaque à borne.
A l’époque je gagnais 750 FF par mois et donnais 600 FF dans une pension de famille à Boulogne. Donc j’acceptais le deal.
N’appréciant pas les méthodes de travail de mon patron je répondais favorablement à une offre d’un garage à Neuilly. Dans lequel j’étais embauché officiellement comme mécanicien avec un salaire de 1.000 FF, déclaré, et dans lequel j’allais apprendre le métier de garagiste en V.O. avec des patrons supers.
Tout allait pour le mieux, je pouvais aller à pied à mon travail. C’était mon footing matinal. Par le bois de Boulogne le parcours était sympa. Je croisais les écureuils ainsi que les dames qui offraient un peu de bonheur aux hommes rentrant des halles. Je déjeunais à midi au garage et le soir dans ma chambre. Je faisais mon trou en quelque sorte. Puis je fais plus ample connaissance avec des « polaires », je sympathisais avec certains et certaines. J’étais même invité à certains pots. Je faisais partie du décor. Les membres des E P F m’obtinrent une carte pour pouvoir prendre mes repas dans le mess des CRS de la Porte Maillot.
Je vais rencontrer deux camarades qui vont compter dans le futur. Jean-Pierre Renard et Michel Baty.( Bernard Morlet m’arrête et me confie qu’il a rencontré Michel en Algérie. Au cours de TA 16 Michel s’est présenté un jour devant Bernard en l’appelant Mon Lieutenant, en effet tout correspondait, le monde est petit)
Ils participent avant de partir en Terre Adélie à la remise en état, eux aussi, des Weasels pour la prochaine campagne au Groenland. Jean-Pierre me prend même avec lui pour encadrer les éclaireurs de St Germain en Laye. Avec Michel nous traitons quelques affaires dans la voiture dont une aurait pu me conduire en correctionnelle. Mais j’ai vite compris et effectué un virage à 180°.
Un soir j’entends qu’une personne s’en prend à la grille. J’ouvre la fenêtre et reconnais P E V (et oui je l’appelle P E V comme tout le monde maintenant mais sans jamais lui avoir parlé sinon bonjour Monsieur !!)
– Je viens chercher ma voiture.
– Désolé mais elle se trouve dans les locaux des EPF et je n’ai pas la clef.
– Je dois descendre aux obsèques de ma belle mère, il faut que j’aille à la gare de Lyon, pouvez-vous m’emmener ?
Je prends une voiture de mon ex-boss et direction la gare (pas de papiers, pas d’assurance, c’était le bon temps…).
En cours de route il me dit:
« Mais qui es-tu, que fais-tu dans ce trou ? tu ne vas pas y crever comme un rat, viens avec nous
– Bof !!!!!!! »
Un mois plus tard environ c’est le départ de TA 16. Je fais partie de l’équipe qui accompagne les « polaires » au Bourget. L’ambiance est aussi de la partie, nous avons bien diné et bien bu.
Arrive le moment du passage sous douane. Monsieur Gaston Rouillon fait l’appel et là il manque un gus, Jean Chauchon. Sans réfléchir je lève le doigt, Gaston Rouillon me répond : « Mais ce n’est pas possible, vous n’avez pas de passeport. Si vous voulez partir posez votre candidature ». Entre temps Jean Chauchon arrive. Puis se sont les adieux, joyeux pour certains larmoyants pour certaines. Familles au grand complet pour les uns, une fiancée pour d’autres, et le personnel des EPF au grand complet le tout sous l’objectif des caméras de la télé et des reporters. C’était grandiose. Ils passent tous la porte, le DC8 est juste derrière (c’était sympa à l’époque, il n’était pas questions d’attentats). Nous avons attendu encore pas mal de temps car il y avait un soucis technique qui obligea nos Polaires à redescendre de l’appareil.
En arrivant dans ma chambre, il était 2 heures du matin, je gribouillais un semblant de lettre de motivation qui devait se résumer à ceci :
Suite à votre conseil j’ai l’honneur de vous demander la possibilité de faire partie de vos prochaines expéditions. Ce n’était qu’une formalité sinon le dossier n’aurait pas été complet. !!
Trois semaines plus tard, je trouvais, glissée sous ma porte, une enveloppe me confirmant que ma candidature était retenue pour la prochaine campagne au Groenland.
J’avoue que j’ai eu beaucoup de mal à m’endormir ce soir là. Convoqué pour un entretien, Monsieur Gaston Rouillon m’expliqua brièvement (pas grave j’avais demandé mon après-midi à mes patrons, seuls les initiés comprendront !!) ce qu’étaient les EPF et les détails de mon prochain travail. Une seule barrière à franchir, les visites médicales. Et c’est ainsi que début février j’informais mes patrons que je les quittais pour six mois. Puis un saut en Charente pour embrasser mes parents et le 7 mars 1967 nous décollons d’Orly. De retour du Groenland, je reprends mes activités au garage de Neuilly et retrouve ma « garçonnière » dans laquelle j’avais installé un camarade en guise d’intérimaire. Mes rapports avec l’ensemble des EPF avaient, bien naturellement, changé et évolué positivement. Puis un jour Tonton me croise et me dit : « Jojo si vous voulez repartir, il faut le signaler à M. Rouillon » et voilà comment s’est engrenée mais carrière polaire.
Une autre information, qui m’a été rapportée par ma sœur Maryse. Elle assiste un jour à une conférence de P.E.V à Bruxelles.
Arrive les questions et une personne demande :
« Comment fait-on pour entrer au Expéditions Polaires Françaises ? »
a – Il faut avoir une spécialité qui répond à nos besoins,
b – être en bonne condition physique. Tous les candidats sélectionnés passent des tests médicaux physiques et phycologiques très poussés.
C – Et être patient.
Pour l’exemple, nous avons parmi nous un camarade qui pour être certain de partir n’a pas hésité à vivre dans un coin de cave dans nos sous-sols durant trois ans.
Ma sœur a tout de suite identifié le personnage en question !!!!
Et voilà comment on écrit l’histoire. Il est vrai que c’est vendeur .
Mais je ne suis pas le seul à avoir occupé les lieux. Georges Schwart et Sanvelian (avec femme et deux filles) ont vécu eux aussi dans cet abri !!
Malheureusement je n’ai aucune photo d’époque.
Georges GADIOUX
(*) Il y a prescription maintenant, je pense que la majorité des acteurs ne sont plus de ce monde. Mais, à l’insu de mon plein grè, j’ai en quelque sorte, été impliqué dans la grosse machine des emplois fictifs de la ville de Paris et autres opérations plus ou moins licites. Je doute que la liste exhaustive des locataires et qui plus est des loyers subsistent, si toute fois elle a existé !! puisque tout était payé en liquide.
Mais il est possible aussi que ce capital ait été placé et finance une partie des futurs logements sociaux. Il n’est pas interdit d’espérer !
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