Kerguelen, le 16 Juillet 1968

Chers tous,

Oui, c'est bien moi, un bateau Russe est venu nous voir, et postera nos lettres à l'île Maurice. Ce bateau est une base de réception de satellites.

Ici tout se passe bien, nous formons une mission de types sympas, sans histoires. Nous nous sommes remis de notre Mid-Winter, qui fut, au dire des anciens, la plus réussie de toutes les années.

Mid-Winter : Atelier de couture au GRI Jacques Nègre, Jacques Bulle, Gérard Caussidéry et Henri Peyreron

Mid-Winter : Répétition au GRI Jacques Nègre, Bernard Storet, les cheveux de Robert Pétinot, Henri Peyreron, André Malot et Jacques Bulle en maître de ballet

Le thème "Folies Berker" nous a valu un spectacle de 1^er choix. Comme vous le saviez, nous faisions les girls avec froufrous (il ne reste plus de tarlatane à la pharmacie du toubib) jupons et robes en toile de jute peinte (28m sur 2m), en bref un sacré travail, si bien que nous avons très peu répété. Sur scène, le French Cancan fut assez folklorique, chacun dansait pour soi. Le numéro durait 1/4 d'heure, et je peux vous assurer que les filles qui font ce métier ne volent pas l'argent qu'elles gagnent. A la fin nous étions complètement rétamés. Maintenant nous ne supportons plus d'entendre la Vie Parisienne et la Chauve Souris.

Mid-Winter : François Blanc en Toulouse Lautrec

Mid-Winter : Le spectacle des Gri Bells Girls
Jacques Bulle descendant sur son trapèze ...

François était en Toulouse Lautrec avec un costume qui lui a valu le 1^er prix ex-æquo. C'est lui qui nous a maquillés, et donné un coup de main aux préparatifs. Il y avait, j'ai oublié de le dire, 7 girls (Pétinot, Nègre, Péreyron, Storet, Mallot et moi) et Bulle, la vedette qui arrivait sur un trapèze avec comme musique d'accompagnement l'ouverture pompeuse de la Toison d'Or. Nous avions aussi un ballet nautique, avec comme musique la Barcarolle chantée en play-back par Pétinot le patron du garage..

La Mid-Winter dure 3 jours, avec repas à la carte pour la soirée parisienne, rallye où nous avons terminé 4^ème, jeux divers. J'ai coupé ma barbe pour l'occasion, si bien que beaucoup de gars ne me reconnaissait pas. Je dois dire que moi non plus. Je l'ai laissé repousser.

A part les fêtes (22 officielles), la vie n'est pas trop fatigante, je me lève à peu près à dix heures moins le quart. Tous les beaux conseils que vous m'avez donnés ne sont pas tellement suivis, le linge sale aurait plutôt tendance à s'accumuler jusqu'à épuisement du stock. Ce jour-là, c'est la grande manip lavage, avec d'ailleurs une machine qui tombe systématiquement en panne, et l'on doit se contenter de l'eau chaude du robinet. On arrive quand même à laver. Ma chambre est comme à Argenteuil, aussi bien rangée, il est vrai que j'y suis si peu que j'ai la flemme de l'arranger. En bref, je vis bien, je crois que j'ai grossi.

Avec notre bonne jeep, on crève toujours nos deux pneus par semaine, et le matin le démarrage le plus efficace c'est de trouver un GMC complaisant pour vous pousser.

La jeep du GRI

On repeint le labo Jacques Nègre et Jacques Bulle

A la station, nous avons rarement des pannes, nous utilisons notre temps à faire des transformations, améliorations, comme une autre salle de dépouillement, la sonorisation de la salle de veille. Nous disposons d'un magnétophone Ferrograph prêté par le District. Bulle a fait des banquettes avec des poteaux et de la toile de jute, une piste de dés dans un dessus de tonneau où nous faisons nos parties de yamm's.

Dehors, le temps pour un hiver est magnifique; de temps en temps il neige, mais elle est vite balayée par le vent.

Nous avons un petit chat qui vient de naître à la Météo. Il est noir et blanc comme tous les chats de Ker. Il pourra croquer nos souris. Nous en avons déjà attrapé une trentaine.

Je suis à cours d'idées, il est 2h du matin, je vais me coucher. A Ker, on a pris l'habitude de se coucher très tard.

Smaks à tout le monde
G