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Haraker N°4 - Décembre - Janvier 1968

Un an après

Il y aura un an bientôt, je découvrais cette île, avec dans la tête les mille pensées qui assaillent un "Bleu" devant toute situation nouvelle. Aujourd'hui, onze mois ont passé, je me sens un peu plus riche de ce séjour vécu, et la tentation est forte de tracer un portrait de ce que fut notre Mission, de nos réalisations, et peut être de découvrir ce qui nous a manqué. Bien sûr, le séjour n'est pas terminé, pour cela je suis encore très sensible, très réceptif, sans doute serais-je plus objectif si cette rétrospective pouvait être reportée de trois ou quatre mois; néanmoins, je vais m'efforcer de faire une analyse la plus juste possible.

Pour nous tous, nous avons eu au cours de ces mois, d'abord à assurer des tâches, accomplir des travaux déterminés, lesquels furent souvent monotones et routiniers. Dans les laboratoires, le travail a été ce qu’il est traditionnellement, ni plus ni moins qu'un programme à réaliser, des appareils à surveiller, des améliorations à apporter, et en cela je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup d'originalité. Côté "grands travaux", nous avons vu, pousser sur la base trois bâtiments complets et s'élever un quatrième... Ajoutons à cela de nombreuses améliorations, des travaux d'entretien, de terrassement...Là aussi, le travail a été fait, et nous ne pouvons qu'en tirer des satisfactions. Voici donc l'aspect matériel, ou plutôt professionnel, de la mission; il ne m'appartient pas de juger le travail accompli, je pense simplement que chacun a fait selon ses possibilités.

Mais parallèlement à ceci, nous avons eu à vivre, à nous connaître, à nous distraire aussi, afin de trouver dans nos heures de repos, dans nos loisirs, quelque chose apte à nous faire oublier une vie un peu précaire, et pour beaucoup assez monotone. Le fait de posséder chacun une chambre, qu'il est possible de décorer selon ses goûts, bien que les moyens soient assez limités, nous permet de nous retirer dans une intimité propre, et ainsi d'échapper à la vie de la Base. Il serait cependant curieux, sinon idiots, de vivre ainsi 12 mois; les relations, les échanges, une vie collective sont nécessaires. Pourtant, excepté les séances bi-hebdomadaires de cinéma et les repas pris en commun au restaurant, nous avons eu, il me semble, assez peu de motifs, d'occasions nous permettant de nous regrouper, d'avoir des contacts, des dialogues entre nous. C'est avant tout cet état de fait que je regrette, et qui pourrait dénoter une profonde lacune dans l'organisation de nos loisirs, dans l'animation de ceux-ci.

Il est certain que nous avions tous au début du séjour de nombreuses idées, c'est sans doute avec l'intention de les voir se concrétiser que nous était alors apparu la nécessité de constituer un "Comité des fêtes" (c'est le nom que nous lui avons donné, cela aurait pu être un groupe quelconque). Or le temps a passé, et il semble que nous ayons manqué un peu de moyens, de buts pour provoquer des rencontres, des échanges entre nous tous, par petits groupes dirigés sur des sujets d'intérêt différents, mais pouvant cependant se recouper. C'est cela que je regrette, et qui me conduit à imaginer ce que nous aurions pu faire en plus, ou ce qui devra être fait un jour.

C'est dans le domaine des loisirs plus particulièrement que l'effort est nécessaire. Il va de soi qu'individuellement chacun peut s'adonner à son violon d'Ingres, le fait d'avoir sa propre chambre, son "coin" bien à soi le permet. C'est, il me semble, ce que nous avons connu cette année, cela est une solution; mais je crois que l'avantage d'une participation collective, même structurée et animée par une ou plusieurs personnes responsables, se trouverait dans l'entretien d'une ambiance bien vivante de la mission par le fait que cette participation de tous (ou d'un grand nombre) provoquerait ces relations humaines que nous n'avons pas bien su engendrer. Mais qu'est-ce donc cette participation collective, cette animation des loisirs ...? Une rapide réflexion m'amène à proposer deux catégories d'animation.

Tout d'abord, la constitution guidée ou spontanée de groupes de rencontre sur différents sujets tels que musique, peinture, littérature, histoire, bricolage, photo, cinéma... Par exemple : la résidence offrant un choix vaste et varié de disques et une chaîne de bonne qualité, je crois qu'à l'initiative d'un "connaisseur" ou seulement d'une personne intéressée, la création de soirées musicales associées à une éventuelle discussion aurait cristallisé des intérêts communs et amené quelques uns d'entre nous à participer à de telles réunions... Cela ne s'est pas fait, nous en partageons tous la responsabilité.

A ces premiers groupes, il devrait aussi être possible d'ajouter des groupes de travail : les premiers portant sur la réalisation d'ensembles extra-professionnels...(réalisation radio-électronique, décoration... ); d'autres axés sur l'étude de documents ou sujets d'intérêt collectif, cela dans le but possible de présenter des conférences, les sujets pouvant encore ici être très variés. Enfin groupes de travail sur des sujets d'un intérêt plus sporadique; en ce qui concerne ces derniers, une idée semblable avait été préparée en début de séjour; s'ils n'ont pas été constitués, il est certain que tous les intéressés en partagent encore la responsabilité, et je précise cela non pour faire une critique destructive, mais au contraire, fort d'une expérience, pour proposer des idées qui n'ont finalement rien d'utopique.

En effet, domaine musical excepté, il est certain que nous avons ici assez peu de moyens à notre disposition pour animer notamment des soirées artistiques (peinture, sculpture... ) littéraires ou poétiques. Mais notre mission a montré que même disposant de moyens (musique par exemple) l'initiative n'a pas été prise. Je ne dis pas que nous n'avons rien fait, et notre comité des Fêtes par sa participation dans les festivités, par son initiative sur l’amélioration du Foyer, a eu fort à faire, mais quelques festivités excepté ( la Mid-Winter en particulier) nos activités de loisirs se sont surtout orientées vers des améliorations matérielles de notre confort de vie : (le Foyer, Molloy, salles de sports... ) choses qui, certes, devaient être faites, et dont nous pouvons être fiers. Cependant ce ne furent pas, selon mon jugement, des activités apportant défoulement, décontraction et repos. C'est en ce sens qu'il serait intéressant de tirer une leçon, bien qu'il nous soit à présent difficile d'en profiter; mais certains d'entre nous reviendront, et ceux là peut être en bénéficieront, car c'est essentiellement, je crois, avant le départ pour un séjour que devrait être pensé et prévu ce problème des loisirs !

Si la possibilité était donnée, avant de partir, de choisir une personne (surtout volontaire), de mettre à sa disposition du matériel tels que films éducatifs, revues diverses (Sciences et Arts), diapositives, enregistrements magnétiques etc... toutes ces choses qu'il est actuellement possible de trouver dans les Centres d'information pédagogique ou artistique, ce serait déjà un grand pas de fait. Car alors, cet "animateur" prévoyant son séjour, disposant d'un matériel, pourrait, je crois très facilement sur place ensuite constituer ces petits groupes dont nous avons été privés. Nous aurions alors une fois par semaine la possibilité d'assister à une projection éducative, technique, scientifique ou autre... ou bien la présentation audiovisuelle d'une école de peinture, de littérature ou de poésie, ou encore une conférence travaillée et présentée par des camarades... et que sais-je encore.

Il se peut que ces propositions surprennent, pourtant elles ne me paraissent pas être ridicules, et le cheminement qui m'a conduit à les écrire ici est assez curieux pour que j'essaie de le traduire, sans toutefois en garantir sa valeur. Notre mission, comme d'autres très certainement, n'a pas échappé à certains mythes, je pense ici au folklore, voire la paillardise... Tous avons entendu un jour ou l'autre des récits d'épopées passées... Il est certain que nous n'avons pas connu de choses semblables. Nos "grands repas" furent "polis", les "souilles" légendaires inexistantes... et le folklore se meurt. Est-ce bien ? Est-ce mal ? Je ne suis pas en mesure d'en juger.

Par contre, ce qui me semble être certain, c'est que, faute de cela, nous avons manqué de moyens de défoulement, nous n'avons pas su trouver de solution de remplacement. Encore une fois, l'initiative nous appartenait, me direz-vous ! Mais ce processus d'organisation collective dans un groupe de 86 individus est très aléatoire, il peut être freiné par des circonstances particulières, par une timidité des jeunes (et nous fûmes nombreux cette année)... Enfin, la spontanéité n'est pas évidente, aussi ces propositions qui font figure de solution de rechange face à un "titanesque" vin chaud qui tiédit ne sont pas totalement ridicules.

C'est peut être pourquoi il serait peut-être souhaitable que l'administration des T.A.A.F. pense ce problème des loisirs, cette organisation des heures de détente dont nous serions tous bénéficiaires. Je crois en effet que c'est aux T.A.A.F. à prendre cette initiative, car notre Mission a montré que spontanément nous n'avons pu faire dans cet esprit que très peu de choses. Ainsi se manifeste la nécessité d'une organisation avant le départ, de la prise de responsabilité d'une ou plusieurs personnes, (pourquoi ne pourrait on pas ajouter sur les fiches de renseignement : quel est votre violon d'Ingres ? Consentiriez vous à vous occuper d'une activité culturelle et de loisirs ? ) qui, je le répète, n'auraient à jouer qu'un rôle d'animation et d'organisation compte tenu de la disponibilité matérielle de moyens suffisamment importants.

J'imagine que les réactions suivant la lecture de cet article seront très différentes, peut être y trouvera-t-on assez peu d'intérêt dans la mesure où notre séjour s'achève, et que nous ne sommes plus guère intéressés. Pourtant ces idées résultent d'une expérience; sont-elles bonnes ou mauvaises ? Seule une expérience différente pourrait le montrer, pour cette raison vous associerez-vous peut-être à moi pour souhaiter que, dans les années à venir, ce problème des loisirs soit pris en considération très sérieusement avant le départ d'une mission. Libre à celle-ci d'exprimer dans la réalisation sa personnalité.


Le rédacteur:

Jacques Bouvard

Jacques Bouvard Corrélations magnétiques

NDLR: Beaucoup d'idées qui surviennent en fin de mission et qui auraient pu peut-être mise en œuvre si on en avait eu l'énergie, l'envie, le temps... pas facile à dire. Un an c'est long, des activités diverses existaient et globalement c'était déjà pas si mal. Jacques Bouvard faisait partie du comité des fêtes et il a contribué aux diverses fêtes qui ont eu lieu.

Revenu en métropole, Jacques rédacteur de cet article, a mis en œuvre ses réflexions et est devenu Président du Comité des Fêtes de la ville de Figeac !


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