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Haraker N°4 - Décembre - Janvier 1968

Déjà ... enfin

Une année de Mission, la dix-huitième s'achève
"Déjà", disent les uns !
"Enfin", pensent d'autres.

Combien encore, pensent et disent les deux ?
Mais pourquoi ces divergences dans les adverbes ?

A priori, chacun doit avoir raison à sa façon, et il est certain que, suivant la manière et l'angle sous lequel on examine l'année que nous venons de vivre ensemble, on a des motifs de dire "Déjà" ou "Enfin".

Voyons déjà chronologiquement ce qui a pu nous amener à dire "Déjà" - Il y eut d'abord cette campagne d'été avec la fameuse mission "FU.171" du C.N.E.S. - Elle nous donna bien du travail, bien des soucis, bien des ennuis, et ceci à toutes les corporations du District. Mais elle nous valut aussi un beau succès et la satisfaction d'avoir participé aux premiers tirs fusées à Kerguelen. Et quand, enfin, le CNES rembarqua, nous fumes tout surpris d'avoir déjà passé quatre mois de mission.

Photo Christian Nicolas (Le Bosco)

Le CNES parti, nous faisons enfin connaissance, et déjà nous préparons la Mid-Winter.

Et quelle Mid-Winter ! En avez-vous déjà connu de semblable ? Enfin moi, qui suis un vétéran des Terres Australes, je vous dit "NON" : cette Mid-Winter fut la plus inoubliable de celles que j'ai vécues.

Mais nous sommes déjà en Juillet. Que faisons nous ? Nous avons presque tous un programme de travail chargé, trop chargé même, mais enfin nous en faisons encore plus en restaurant Molloy et en aménageant le foyer et deux salles de sport. Tout cela nous mène sans que nous nous en rendions compte au mois de Septembre. L'hiver est déjà fini, mais enfin le printemps ne semble pas vouloir venir.

Pourtant les travaux avancent inexorablement : déjà les magasins sont en cours de finition, l'émetteur de 35 KW est en état de marche, une piste reliant le foyer à B8 évitera désormais à notre géomètre de tomber "nuitamment" dans une souille qu'il a mal repérée sur la carte, et enfin, grâce à la fée électricité, personne ne pourra plus prendre le cuisinier pour le forgeron du pays.

Mais il fait encore froid; les grains de neige et les coups de vents se succèdent; nous sommes fin Octobre, et déjà les éléphants s'accouplent. A ce moment se déclenche notre dernière opération d'envergure : la mise en œuvre du chantier Biomar et la finition de détail des nombreux travaux en cours.

Et enfin, citons les nombreuses activités moins spectaculaires que déjà j'allais oublier, mais qui pourtant justifient les précédentes, ou ont permis leur aboutissement : je veux parler des activités scientifiques, météo, radio et intendance (au sens le plus large du terme).

Enfin, déjà, tout ceci vient de se terminer ou se termine. Noël est derrière nous et déjà, enfin, le bateau de relève est en vue.

Mais enfin, puisque tout se passa si vite, pourquoi pouvons nous éventuellement penser "Enfin" ?

En début de mission, la promiscuité abusive à laquelle nous fumes contraints nous fit souhaiter, on l'a vu, qu'enfin la campagne d'été prit fin. Ceci fait, tout "baigna" dans les grandes lignes, jusqu'au mois d'octobre.

C'est à ce moment que commença à se développer parmi nous une nervosité qui alla parfois jusqu'à l'agressivité.

Tout fut sujet à critique : ce que nous faisions, ce que nous projetions de faire, ce que nous mangions, ce que nous disions... et j'en passe. Enfin, la raison l'emporta et tout se calma. Mais un malaise avait été créé, et personne ne l'a encore oublié. Ce qui nous a manqué alors, c'est l'esprit de camaraderie généralisé. C'est là, peut-être, la conséquence d'un excès de travail, conjugué à une organisation insuffisante des loisirs. De ce dernier point, nous sommes tous responsables car, soit par fatigue, soit par paresse, nous ne nous sommes pas suffisamment occupé de la mission en tant que Mission. Chacun a vécu avec ses problèmes sans faire l'effort de les partager et de partager ceux des autres.

Ce manque d'esprit généralisé de camaraderie que l'on pourrait éventuellement appeler "Esprit de mission", voilà ce qui nous fit défaut et qui a pu nous amener à penser : "enfin !"

En conclusion, que nous restera-t-il de cette mission, lorsque le temps aura fait son œuvre d'élagage ? Ce que nous avons réalisé restera et déjà nous pouvons en être fiers.

Notre lassitude des derniers mois, quant à elle, n'est due à aucun drame, à aucune violence, à aucun excès, a aucune inimitié particulière. Par conséquent nous l'oublierons vite.

Enfin, nous nous souviendrons essentiellement de ce qui sera remarqué par ceux qui n'ont pas vécu cette mission : notre œuvre commune.

C'est, je crois, le plus beau souvenir que l'on puisse avoir, et c'est pourquoi je n'hésite pas à penser et dire :

" D E J A "


Signé Eric Moulaert

C'est notre chef de district qui a rédigé cet article, qui fait état d'une morosité de certains vers la fin de la mission. Il est certain que son poste de responsable, dans ce coin isolé, l'oblige nécessairement de veiller et être au courant de tout. Un débordement de ras le bol aurait pu arriver. Aux dires de certains anciens c'était déjà arrivé surtout, dans des îles moins importantes. Personnellement je n'ai pas vécu cela, et je pense encore que cette mission fut une réussite.

Eric Moulart

Quelques minutes avant l'ouverture de la Mid-Winter :
Eric Moulaert, chef de district, a revêtu pour l'occasion son habit de Maître d'hôtel

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