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Lettre de GB du 22 mars 1968

Vendredi 22 mars

Ce matin, j'étais réveillé à six heures, une fois de plus, et à neuf heures l'hélicoptère décollait pour aller faire des paysages en altitude. A deux mille mètres, l'intérieur de la cabine s'est recouvert d'une pellicule de givre, et à deux mille cinq cent mètres, il faisait déjà moins 10 degrés ; aussi le pilote a-t-il décidé d'annuler le vol et une demi-heure après nous étions à nouveau au sol.

Photo Binot

Port aux Français - Vue du Port

Actuellement, les conditions météorologiques sont de plus en plus mauvaises ; nous avons cependant déjà fait deux manipulations, la première par un copain jusqu'à deux mille cinq cents mètres, et la seconde je suis monté à quatre mille mètres. De là-haut on pouvait voir une grande partie de l'île, l'autre étant cachée par les nuages ; toute la partie est de l'île, qui est plate, est truffée de petits lacs, et je pense que leur superficie est supérieure à celle de la terre sèche. J'ai pu prendre des photos, que je vous enverrai peut-être par la prochaine rotation (le bateau arrive après-demain) mon rouleau n'étant pas encore terminé. Pendant le vol, je me trouve sur la banquette arrière, avec la pompe et tous les appareils de mesure. J'ai la possibilité d'entrer en liaison par radio avec le pilote, la base, et le laboratoire, à qui je dois donner les tops de début de pompage, ce qui souvent donne des résultats assez amusants ; le temps semblant du reste assez long pour le pilote ; là-haut, on s'envoie des plaisanteries et même on transmet de la musique de danse.

Je reprends ma lettre un peu plus loin, aujourd'hui samedi. Je suis à nouveau monté en hélicoptère jusqu'à trois mille mètres, l'alouette ne parvenant pas à monter plus haut, malgré la recherche de courants ascendants. Après une heure et demi de vol, nous avons atterri pour faire le plein d'essence et à nouveau décoller; malheureusement l'alouette n'a jamais voulu redécoller (panne dans le système d'allumage) ; nous sommes ainsi quitte avec l'équipage hélicoptère, qui une fois s'était moqué de nous à cause d'une panne de notre équipement.

Photo Gérard Binot Photo Gérard Binot

Au cours du palier à trois mille mètres, le pilote du reste ne se sentait pas du tout bien, alors que j'étais parfaitement à mon aise ; en effet, ils font la java tous les soirs et sont crevés, aussi nous avons beaucoup de mal à les décider à monter si haut. Il faut que je vous parle aussi des fusées. Après beaucoup de faux départs, parfois parce qu'aucun phénomène ne se produisait, parfois parce qu'il se produisait certaines pannes dans la pointe, enfin l'une d'elles est partie.

A chaque départ, les sirènes se mettent à mugir et dix minutes après un camion vous emmène à la base de lancement. La première fois qu'elles se sont fait entendre, je ne les avais pas entendues, tellement j'ai le sommeil lourd ; Heureusement la fusée n'est pas partie ce matin-là. La deuxième fois, moins de vingt minutes après que nous ayons gagné la base de lancement, la mise à feu eut lieu vers six heures du matin. Il pleuvait et le plafond était très bas. L'espace de deux ou trois secondes, nous avons vu la bête s'élever brusquement dans le ciel, laissant derrière elle une fumée jaune et blanche. Puis elle a crevé le plafond, faisant entendre un bruit sourd qui remplissait tout l'espace et qui s'élevait à la verticale de nos têtes.

Quant aux résultats, l'équipe de chercheurs qui travaille depuis deux ans à la préparation de l'expérience semble satisfaite. Le soir le louzou coulait à flot.

J'ai aussi vu le lancement d'un ballon stratosphérique de 25 mille mètres cubes, qui emmenait avec lui un fut d'essence. C'est très spectaculaire de voir cette immense enveloppe de polyéthylène se gonfler au fur et à mesure qu'un manche débite de l'hydrogène, et puis qui brusquement s'élève, gonflé même pas au cinquième de son volume. Trois autres lancements de ballon de soixante quinze mille mètres cubes sont prévus, mais les conditions météorologiques ne sont jamais suffisamment bonnes pour ces minces enveloppes de plastique.

Le mur pare-vent de la Météo - Photo Gérard Binot

Le mur pare-vent (Photo Gérard Binot)

Je vous raconterai dans une prochaine lettre une ballade que j'ai faite ; je dois du reste en faire une d'environ dix jours d'ici un mois et demi, peut-être irons-nous voir les gigantesques glaciers du Cook, à l'ouest des Kerguelen.

Si les TAAF vous ont averti du passage du Galliéni demain, je recevrai sans doute votre courrier, alors que le mien sera déjà dans le sac postal, ainsi je ne pourrai pas répondre à vos questions éventuelles.

J'ai été assez flemmard à cette rotation, et je n'ai écrit qu'à vous, aussi dites à Claude que je lui écrirai la prochaine fois une longue longue lettre.

J'espère que Laurence se porte comme un charme, j'ai du reste sa mignonne petite frimousse devant moi sur la table.

Malgré l'originalité de Kerguelen, j'envie tout de même votre séjour sur la cote d'Azur, son soleil et sa végétation luxuriante.

Transmettez mes amitiés à toute la famille, frères, sœurs, belles sœurs, beaux frères; je pense souvent à eux, et je me dis qu'il est bien agréable de savoir qu'ils seront là pour vous accueillir au retour.

Mes chers parents, je vous envoie toute mon affection. Pour ma part, tout va très bien ici, bien que la vie à Kerguelen soit assez rude, surtout par les rapports que nous avons les uns les autres.

Je vous embrasse.




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