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Haraker N°1 - Avril Mai 1968

Campagne d'été

Dans un an ou plus, commenceront à paraître des publications concernant la campagne scientifique de lancement de fusées sondes et de ballons aux Îles KERGUELEN. Aussi, parce que cette Campagne d'été, par sa longueur, a fait date pour nous, mais surtout, fera date dans l'histoire scientifique par son originalité, il n'est pas inutile d'en parler une fois encore.

Cette campagne, sous la conduite du C.N.E.S. assisté matériellement par les T.A.A.F., était sur le plan scientifique sous la responsabilité du Groupe de Recherche Ionosphérique dont les travaux ont pour but d'étudier les corrélations existant entre les T.B.F. ( Émissions Très Basses Fréquences ) de la magnétosphère et la présence de particules piégées dans le Champ Magnétique terrestre.

Une Campagne de lancés de ballons s'est également déroulée ayant pour but d'étudier le Rayonnement X, menée' par le C.E.S.R. ( Centre d'Étude Spatiale des Rayonnements ) à Toulouse.

Rappelons qu'au-delà de l'atmosphère, existe une structure combinée du champ Magnétique terrestre et des vents solaires qui forme la magnétosphère. La connaissance de celle-ci ne date guère que de 1959 par les travaux de Van ALLEN et les lancements de Satellites "EXPLORER". Dans ce milieu, l'interaction des particules engendre des ondes hydromagnétiques et des émissions radioélectriques T.B.F. , phénomènes qu'il est possible d'enregistrer par des mesures au sol. Actuellement les chercheurs s'intéressent à une description dynamique de la magnétosphère en vue de mieux comprendre les processus à l'origine de ces phénomènes.

Pour mieux comprendre le choix de KERGUELEN pour cette Campagne, il faut savoir que l'Archipel présente l'avantage d'avoir un point continental magnétique conjugué (sur une même ligne de force du Champ magnétique Terrestre), qui se trouve à SOGRA en U.R.S.S., et que la possibilité de mesures parallèles en ces deux points facilite beaucoup l'étude et la connaissance des phénomènes. C'est dans ce but que, depuis trois ans, se font en permanence des expériences et des mesures au sol. Mais, pour diverses raisons, ces mesures ne donnent pas entière satisfaction. Cela a motivé la mise au point d'une campagne de Fusée Sondes, permettant de faire des mesures plus riches et plus précises, indépendantes de l'absorption ionosphérique très mal connue, et perturbant les mesures au sol. Dans ce dessein, il fut choisi d'opérer dans trois phénomènes connus : l'Aurore, le Souffle, le Choeur de l'Aube; chacun se manifestant par une émission T.B.F. propre et reconnaissable.

Pour ces raisons, ont donc débarqué cet été mille mètres cubes de matériel et 43 personnes venues en "TOURISTES". C'est de ceux-ci qu'il faudrait un peu parler sans oublier que, pour eux, ces trois mois d'été ne furent pas des vacances, mais le terme d'un an de recherche, d'une année d'effort et de préparation. En effet, dans des conditions particulières, ils ont du créer, prévoir, surmonter maints problèmes pour concevoir trois pointes d'engins munis de chaînes de mesures destinées à une grande Première ! De la recherche à l'expérimentation, on conçoit que cela demande beaucoup de travail, mais encore n'a t-on pas idée des problèmes auxquels se sont heurtés ces chercheurs ingénieurs et techniciens. En effet, destinés à des mesures dans une ambiance spatiale, de par leur conception, leur sensibilité, leur précision, ces appareils de mesure ont posé, pour leur réglage et leur étalonnage, des problèmes délicats. Pour échapper aux parasites des villes et des laboratoires, les pointes ont été testées sur les terrains de l'Institut Physique du Globe à Chambon la Forêt, en pleine nature, loin de toute activité. Les compteurs de particules conçus en un endroit furent vérifiés au Centre de recherche Nucléaire de Strasbourg et au Centre d'Études Nucléaire de Grenoble. Cela pour illustrer un peu la complexité d'un tel travail. C'est ainsi qu'ont vu le jour trois pointes munies d'une chaîne T-B-F., d'une chaîne de comptage de particules, d'une chaîne de télémesure. Cela après plus d'un an de travail, sans compter la fièvre des derniers mois, afin que tous les préparatifs soient achevés, que tout soit embarqué de la plus petite bricole à l'ensemble vital !

C'est cet amoncellement de matériel que nous avons vu sortir de l'antre du Galliéni, non sans un peu de surprise. Et s'il eut suffi en quelques jours d'installer tout cela pour être paré à tirer, la chose aurait été facile. Non, la tâche était de taille. Outre les infrastructures réclamant la force des T.P., l'installation complète d'une base de mesure au sol n'est pas évidente. Devant être installée à titre provisoire, rapidement les obstacles et imprévus de dernière heure ont été nombreux, depuis le béton au sommaire abri de planches; que d'inattendus... et d'heures supplémentaires!

Le hangar d'assemblage des fusées

Quant à la bonne marche des appareils, là aussi, les déboires étaient nombreux, devant, pour la mise au point, faire face à des solutions imaginatives, les soit disant " touristes " n'auraient pu parer à tout sans l'aide permanente des laboratoires du coin, de la MEPRE, accablée mais jamais débordée, de quelques scientifiques tout aussi bien de la 17ème que de la 18ème, qui n'eurent pas à chômer tous ces jours pour régler , mettre en place, étalonner, vérifier enfin la bonne marche de toute cette station poussée, en quelques jours, dans ce sol pierreux !

C'est là un aperçu du travail sur les lieux. Mais dans les airs se déroulait une répétition générale; nous avons souligné que cette expérience était conjuguée à SOGRA. Aussi, pour la bonne réussite, il était nécessaire que les liaisons entre ces deux points soient accomplies avec la précision d'un chronomètre.... ce n'était pas là non plus tâche facile.

Une liaison spéciale fut établie entre ces deux points avec, entre autre, un circuit Télex BRETIGNY - MOSCOU. Toute information devant transiter par KER - PARIS, PARIS - BRETIGNY - MOSCOU, MOSCOU X...., X.... - SOGRA ; ou vice versa. Le programme prévoyait que pour le bon fonctionnement d'un tir, chaque information devrait passer dans un délai mini de 20 minutes et maxi de 40 minutes.

Après deux semaines d'exercices pour le choix des fréquences et le "rodage" du circuit, une liaison permanente fut ouverte pendant toute la durée des tirs. Le bilan final fait ressortir que toutes les informations relatives aux tirs furent transmises dans un temps inescompté compris entre 4 et 30 minutes, la plupart se situant entre 10 et 15 minutes.

Mais revenons à nos fusées. Tout était prêt, les créneaux de tirs commencèrent. Un peu de repos ! Non, détrompez vous; un deuxième acte se jouait. Une Aurore, parfois il est possible de la prévoir, selon l'état des taches solaires. Un Souffle, parfois aussi, avec d'autres informations. Un Choeur, alors là, sa présence est des plus capricieuses, et ne laisse que très peu de chance à un pari sur les prévisions. Et puis, si l'Aurore et le Choeur de l'Aube sont des manifestations locales de phénomènes, il n'en est pas de même pour le Souffle, aussi faut-il s'assurer que SOGRA décèle à l'heure H un phénomène semblable. C'est pour cette raison que tout aussi bien la Météo, le G.R.I., le Magnétisme lent, les Corrélations, que le chef scientifique ont eu à fournir un excédent de présence; ces deux derniers laboratoires ayant, comme au plateau, à assurer pratiquement une veille de 24 h. sur 24, afin de détecter tout prémisse de phénomène et d'en assurer l'enregistrement correct.

Le chef scientifique a du se multiplier pour coordonner les agissements de tous les intéressés, faire le joint entre les touristes, la 17ème, la 18ème, parfois chose pas très facile dans ces conditions de travail, se manifestant aussi par son expérience d'une mission dans la coordination des messages d'information en provenance de différents points du monde, et par la justesse de ses prévisions relatives aux phénomènes. Je crois que les scientifiques ont été reconnaissants de son dévouement.

Bien sûr, pour tous, les journées ne furent pas toujours très égales, souvent nous avons passé la plupart du temps à croiser un camarade de la 17ème, les yeux pleins de sommeil, et cela n'était pas pour faciliter la connaissance de nos prédécesseurs et réciproquement. C'est ce qui explique, par le manque de relations, ce qui fut le plus pénible pendant toute cette campagne. Et puis les touristes, dans leur impatience de voir aboutir leurs efforts, parfois anxieux, énervés, songeant déjà à la deuxième phase, (l'exploitation des mesures) n'ont pas toujours su s'adapter à l'esprit des gens de "Mission". Elle l'a été, fatigante, cette campagne d'été, pour tout le monde. Mais n'oublions pas le résultat dans lequel chacun a eu sa part de responsabilité. Trois tirs, trois succès. Que cela signifie-t-il maintenant ?

Nos prédécesseurs sont repartis sans que nous ayons eu pleinement le loisir de les connaître, d'apprendre ce qu'ils avaient à nous dire, à nous laisser. Les touristes s'en sont retournés avec leurs bagages, avec la hâte de connaître leurs dépouillements...

Dans un an, dans deux ?... Des publications mondiales relateront les tirs de KERGUELEN. Peut être que ces chercheurs que nous avons rencontrés feront connaître au Monde de nouveaux résultats, qui viendront se joindre à la multitude qui chaque jour enrichit le savoir des hommes sur leur planète et ce qui l'entoure. Et chacun, de tous ceux qui ont trimé cet été, aura le droit de ressentir une petite fierté pour avoir participé à un succès qui n'a de valeur que sa noblesse.


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